Contentons-nous de faire réfléchir
N'essayons pas de convaincre
Georges Braque
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Je me baladais parmi le sympathique "b'hasard" des rayonnages de livres d'un bouquiniste, lorsque je suis (re)tombée sur un exemplaire du célèbre best-seller de John Steinbeck : "Les raisins de la colère". Je dis retombée, car ce n'était pas la première fois que ma route croisait ce livre. Pour autant, je n'avais jamais pris le temps --- ou plutôt, devrais-je dire eu la curiosité ou tout simplement l'envie --- de le lire.
Aussi, en le saisissant pour jeter un oeil à sa "4ème de couverture", je me fis en moi-même cette petite réflexion : "Cette fois, tu devrais quand même l'acheter parce que ce livre, ça manque à ta culture"
Or, allez savoir pourquoi, à peine avais-je prononcé ces quelques mots dans ma tête, que je pris soudainement conscience de tout leur sens "caché", qui m'avait totalement échappé jusque là !
"Ca manque à ma culture...".
C'est fou, mais je n'avais jamais réalisé jusqu'alors, à quel point cette petite phrase, en apparence si anodine, pouvait être emprunte tout autant de sectarisme que de prétention !
Et pour cause.
Qu'est-ce que la culture ?
Si je m'en réfère à un bon vieux dictionnaire papier, la culture c'est, je cite :
- "L'ensemble des connaissances acquises dans un ou plusieurs domaines".
Donc, lorsqu'on dit d'une personne qu'elle est cultivée, on fait référence à l'ensemble de toutes les connaissances que cette personne a acquises depuis le début de sa vie dans tel(s) ou tel(s) domaine(s)".
Or, je vous le demande : qui n'a jamais été réellement impressionné --- ne serait-ce qu'une fois dans sa vie --- devant la culture générale dont aura fait preuve telle ou telle personne, qu'elle fut célèbre ou anonyme ?
Pourtant --- et c'est une fois de plus l'occasion de s'en rendre compte --- dans la Vie, dans nos vies d'humains, tout est toujours profondément relatif ! Et la culture n'y échappe pas ! Car, si on y regarde d'un peu plus près, qu'est-ce qu'un "domaine" en matière de culture ? C'est, là encore je cite le dictionnaire :
- 1) "Champ d'activité d'une personne ; étendue de sa compétence"
- 2) "L'ensemble de ce qui constitue l'objet d'un art, d'une science, d'une faculté."
Autrement dit : dans la vie, tout est domaine !
Qu'il s'agisse du cinéma, de la littérature, de l'agriculture, de la médecine, des langues étrangères, des oiseaux, du papier sous toutes ses formes, de la cuisine, de l'astronomie, de la botanique, des diamants, de l'Histoire, de la géographie, des peuplades du monde entier, du hip-hop, de l'écriture, du chant, des vers de terre, des montagnes, des océans, des bactéries, de l'électricité, des médicaments, des sorciers, des fées, des fantômes, des graffitis, des galaxies, des drogues, de la religion, du sexe, du yoga ou que sais-j'encore : TOUT, absolument TOUT sur Terre et dans l'Univers appartient à un domaine, quel qu'il soit !
Ce qui en clair signifie qu'il existe des centaines, voire des milliers, pour ne pas dire des millions de domaines différents ! Ce qui en soi n'a rien d'étonnant puisque le moindre domaine nous étant familier, comme par exemple, la littérature, se subdivise lui-même en dizaines, voire même le plus souvent en centaines de sous-domaines.
Ainsi, on peut très bien subdiviser la "littérature", en fonction de sa langue (ex : la littérature française, anglaise, allemande, chinoise, sénégalaise, etc) ou encore en fonction de son époque (ex : le XVIII ou le XXI ème siècle) ou encore en fonction de son genre (horreur, fantastique, romantique, etc) ou encore en fonction de son style (roman, essai, poème, etc), etc etc
Du coup, on peut aussi subdiviser le domaine de la littérature, en "conjuguant" les différents sous-domaines entre eux ! Ex : le domaine de la poésie chinoise du XIX éme siècle.
Bref, quand on commence à y regarder de plus prés, dire que tout est relatif en matière de culture générale devient un doux euphémisme ! Et on se rend compte alors très vite, que même le plus cultivé de tous les Hommes du monde ne pourrait "emmagasiner" dans son esprit qu'un nombre tellement infime de tout le savoir, de tous les domaines, de toute la culture "mondiale", que cela ne représenterait sans doute même pas le dixième du centième du 1% de cette même culture !
A titre personnel, j'ai essayé d'imaginer ce que pouvait représenter ma culture personnelle par rapport à celle du monde entier et j'en suis arrivée au chiffre suivant :
0,0000000000000000000000000000000
00000000000000000000000000000000
00000000000000000000000000000000
00000000000000000000000000000000
00000000000000000000000000000000
0000000000000000000000000000001%
Pour tout vous dire, mon niveau en mathématiques --- et plus encore en gestion des nombres dépassant l'infini --- étant proche du néant, je me suis contentée, après avoir tapé "zéro virgule", de tenir mon index appuyé sur la touche "zéro" de mon clavier, en espérant ne pas avoir fait preuve de trop de prétention, lorsque je l'ai retiré après quelques secondes !
En résumé, nous ne sommes TOUS, à titre personnel, nous autres humains --- y compris les plus "érudits" de tous les "érudits" --- que de pauvres ignorants ne maîtrisant même pas 99.99% de toute la culture mondiale !
Vu comme ça, il y a déjà de quoi "calmer" pas mal "d'ego", pour ne pas dire tous les egos, dont en particulier, ceux qui se prévalent d'une "culture" supérieure à celle de ceux qu'ils considèreront comme "le commun des mortels".
On peut donc mesurer là, toute la prétention de notre fameuse petite phrase : "Ca manque à ma culture", lorsqu'on réalise que finalement, plus de 99.99% de la culture mondiale manquera entièrement et définitivement à notre culture personnelle, quand bien même on deviendrait tous centenaires.
Mais ce n'est pas tout !
Non contente de se montrer prétentieuse, cette petite phrase se montre également profondément sectaire ! Car au fond, QUI m'a mis un jour en tête qu'il me fallait lire "Les raisins de la colère" --- plutôt que n'importe quel autre livre ! --- pour que ma "culture" en ressorte soudainement plus "grandie", plus "approfondie", plus "importante" ?!
C'est vrai quoi ! Après tout, pourquoi lire ce livre de Steinbeck serait-il plus important pour ma culture générale, que de lire un livre sur les Inuits qui, au passage, considèrent comme impropre et surtout péjoratif, d'être appelés "esquimaux" ? Pourtant, je ne me suis jamais retrouvée en train de me dire : "ça manque à ma culture", alors que je feuilletais un livre sur les Inuits, les animaux ou les desserts au chocolat !
Ce qui tend à démontrer que --- sans même que je n'en ai jamais eu conscience jusque là --- non seulement "ON" (mes prof ? la société ? ma bibliothécaire d'enfance ? mon entourage ? etc..) a réussi à influencer mes "choix", mais qu'en plus et de fait, "ON" a "sectarisé" ces derniers en m'incitant à penser que telle(s)s ou telle(s) connaissances étaient plus importantes que d'autres !
Alors certes, je n'ai aucun doute quant au fait que ma culture générale n'a pas le moindre besoin de connaître la dernière "starlette" à la mode, ayant su "briller" --- dans le dernier jeu de téléréalité, totalement "préfabriqué" et manipulé --- grâce à un langage essentiellement truffé de fautes et d'insultes, ainsi que grâce à un décolleté, voire une "plastique" générale retenue pour faire de l'audimat auprès d'un certain public !
Mais de là à en être arrivée au point de penser que certaines oeuvres ou connaissances manqueraient plus que d'autres à ma culture : quel sectarisme !
Et quelle tristesse aussi !
Car lorsqu'on y réfléchit un instant, n'est-il pas quelque peu désolant que toute une partie de l'Humanté soit tellement "en admiration béate " devant la "Joconde" --- pour ne citer que cet exemple là --- alors qu'il existe des millions d'autres oeuvres, ouvrages et connaissances qui mériteraient tout autant d'être aussi connues et appréciées ?...
Sans compter --- mais si ! quand même ! --- que j'imagine fort bien que certaines personnes sont "émotionnellement" ou "artistiquement" totalement "hermétiques" face à la "Joconde" ! Et après tout, au nom de qui ou de quoi, tout un chacun(e) devrait-il être "en admiration " devant ce tableau ?
Nous autres humains, oublions bien trop souvent que l'art --- et la culture qu'on lui attache si souvent --- comme quasiment tous les autres domaines, d'ailleurs, ne sont que subjectivité TOTALE !
Qu'il s'agisse d'un tableau, d'un livre, d'un artiste, d'un vin, d'un film, d'un plat cuisiné, etc : leur valeur ne vient pas de "l'essence" même de l'objet ou de la personne, mais simplement du fait que "ON" --- le plus souvent, pour ne pas dire systématiquement, une ou des personnes "d'influence" --- a décidé un beau jour de porter au regard du plus grand nombre tel tableau, tel livre, tel artiste, etc.... tout en le déclarant comme "génial" ou "incontournable" !
Quel qu'ait été, quel que soit ou quel que sera le siècle : notre "culture générale" aura été, est et sera très majoritairement influencée par le fait que "ON" nous aura "imposé" ou tout du moins "largement mis en contact" avec ce que les "plus influents" des humains parmi les humains auront choisi de "mettre en avant".
Pour preuve, aurions-nous jamais connu la "Joconde", si Léonard de Vinci n'avait pas reçu, en son temps, le soutien de différents mécènes, dont, entre autres, le roi François Ier ?
Aurions-nous jamais entendu parler de Molière ou de Mozart, si eux aussi n'avaient eu en leurs temps respectifs, les faveurs des plus grands de leurs époques ?
Aurions-nous connu les grands écrivains français et étrangers, s'ils n'avaient trouvé de maisons d'édition prêtes à les publier ?
Aurions-nous entendu sur nos ondes les Charles Aznavour, Maria Callas, Elvis Prestley, Adèle, Ennio Morricone, Ariana Grande et autres musiciens ou chanteurs célèbres, si ces derniers n'avaient été "repérés" et surtout mis en avant par des producteurs ?
Je pourrais poser ce genre de questions pour des milliers d'autres artistes, ouvrages, oeuvres et autres célébrités humaines ou non : la réponse serait toujours la même : NON...
Même s'il est vrai qu'aujourd'hui, Internet peut donner un peu plus de chance à n'importe quel anonyme, la réalité est là : seuls ce ou ceux qui ont été, sont ou seront mis un jour "en éclairage" par des "influents", deviendront la "base" de notre "culture générale" !
Et si l'on imagine celle-ci telle une pyramide, eh bien force est de constater qu'à sa base il y a ce que tout un chacun(e) connaîtrait de "classique", de basique, de supposé "incontournable" et comme susceptible de "manquer à ma culture", tandis qu'en son sommet il n'y aurait qu'une culture "confidentielle" connue de seulement quelques "initiés", comme l'aura été pendant longtemps, par exemple, la "culture manga". Car, si aujourd'hui, cette dernière tend à être de plus en plus connue du "grand public", grâce entre autres à Internet, le temps n'est pas encore si loin où il ne s'agissait que d'une culture totalement "confidentielle" connue de ses seuls passionnés, voire initiés.
Bref, si j'ose dire , cette petite phrase anodine qui consiste à se dire "ça manque à ma culture" n'est finalement qu'un des innombrables reflets de la façon dont nous autres humains avons si souvent tendance à vivre nos vies "empêtrés" dans, tout autant que "pétris" d'une prétention, d'un sectarisme et d'une subjectivité dont on gagnerait grandement à se débarrasser pour vivre plus sereinement et en meilleure intelligence.
Mais il s'agit là d'un vaste programme, sur lequel je vous laisse méditer...
PS : j'ai quand même acheté le livre "Les raisins de la colère"
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